Hommage à Elie Wiesel z"l

Le samedi 2 juillet 2016, l’éminent écrivain et penseur juif Elie Wiesel s’est éteint à l’âge de 87 ans dans sa résidence de New York, haut-lieu de tant de dialogues et de débats réunissant des hommes et des femmes de toutes sensibilités.

Avec lui disparaît l’un des derniers grands témoins et survivants de l’une des tragédies les plus terrifi antes de l’histoire des hommes.

Il est né en 1928 dans une petite ville des Carpates, Sighet à la frontière incertaine et mouvante entre la Hongrie et la Roumanie. Il a connu une enfance traditionnelle dans une famille juive profondément attachée aux valeurs et à la foi du peuple d’Israël.

Les évènements dramatiques de la Seconde Guerre Mondiale ont changé l’itinéraire du jeune Elie. Il est déporté à 15 ans au terrifi ant camp d’extermination d’Auschwitz- Birkenau puis à Buchenwald. C’est une expérience de l’univers concentrationnaire qui accompagnera le jeune garçon tout au long de sa vie. Il décrira avec émotion et colère la mort de ses proches : sa mère, sa plus jeune sœur puis son père. Il sera libéré en1945 au moment de l’entrée des forces alliées au camp de Buchenwald. Une libération plus physique que morale car le monde horrifi ant de la Nuit et du Brouillard continue à peupler ses jours et ses nuits.

Il ne trouvera de vraie délivrance que dans l’écriture et la parole. Ecrire et parler seront pour lui les armes d’un devoir incontournable, le devoir de mémoire. Il sait qu’il ne faut pas rester prisonnier du passé. Mais, dit-il, si on s’attache au passé pour se libérer alors un sens est donné au temps et à la vie, à l’histoire des hommes. C’est le sens de son premier récit «La Nuit» écrit à l’origine dans sa langue maternelle, le yiddish et traduit en français. Un livre publié avec le soutien passionné de François Mauriac. Un million et demi d’exemplaires furent vendus et fi rent de ce témoignage pathétique et intense, un appel au souvenir d’un peuple qui faillit disparaître dans les brumes d’une histoire tragique.

L’horreur de la Shoah ne fut pas l’œuvre de quelques forcenés illettrés et archaïques. Elle a été rendue possible par le génie maléfi que de nombreux savants et intellectuels y compris des physiciens, des chimistes, des médecins, des biologistes, des philosophes. Cette responsabilité incontestable du monde de la science, de l’art et de la pensée avec l’une des expériences les plus inhumaines de l’histoire de la civilisation, a conduit Elie Wiesel à s’engager dans une entreprise audacieuse et inédite : unir les grandes personnalités planétaires de l’esprit dans une action commune pour la paix et pour les Droits de l’Homme. Ce fut l’origine de l’organisation d’une grande conférence qui a réuni en 1988, soixante-seize lauréats du Prix Nobel (toutes disciplines réunies) pour réfl échir à l’avenir de la planète. Dans la vision wieselienne, il n’y a pas de place pour l’indifférence, le silence, la complaisance à l’égard des persécuteurs.

Mais Wiesel qui avait consacré ses premiers ouvrages à dénoncer la cruauté des bourreaux et la complaisance lâche et indifférente des spectateurs du drame ne se cantonnera pas dans la seule tragédie de son peuple. Il dénoncera avec énergie et passion tous les génocides de l’histoire moderne, tous les attentats contre les droits des hommes et des peuples, toutes les formes de terreur et de barbarie depuis l’Arménie martyrisée et oubliée jusqu’au peuple de l’ancienne Yougoslavie et les victimes de l’Afrique Centrale.  Lauréat du Prix Nobel de la Paix 1986, Wiesel est un intellectuel qui a marqué son temps, notre temps.

Elie Wiesel avait connu dans son adolescence les affres de la faim, de la maladie et de la solitude. Il a gardé de ce temps terrible la ferme volonté d’agir pour soulager et combattre toutes les détresses des enfants.

C’était là le sens de son engagement aux côtés de Meïr Panim et faire en sorte de permettre à tous ceux qui ont connu le malheur de retrouver le sourire et la confi ance dans la vie.

Il ne fut pas seulement un écrivain de talent, un enseignant passionné, un témoin engagé, il fut aussi un passeur entre les mémoires, entre les cultures, entre les récits de l’histoire.

Raphy Marciano
Directeur de l’Espace Culturel et Universitaire Juif d’Europe